Réinventer un média public : la stratégie RH derrière la mutation de la RTBF

Christine Thiran
Épisode #34

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Réinventer un média public : la stratégie RH derrière la mutation de la RTBF

Dans ce 34ème épisode de HR Stay tuned, on explore la transformation d’un média public !

J’ai eu le plaisir de recevoir Christine Thiran, DRH de la RTBF. Ensemble, on est revenues sur les défis humains, organisationnels et culturels d’une réinvention profonde. De la refonte des organigrammes à l'accompagnement du changement, Christine nous partage sa vision du rôle stratégique des RH dans la mutation digitale et structurelle d’une entreprise publique.

Un épisode inspirant sur le leadership en période de transition 🎧

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La retranscription du podcast, c'est par ici ...

Amélie Alleman: Bonjour et bienvenue dans notre podcast HR Stay tuned de Betuned, un podcast RH inspirant, un moment où l'on se pose et on parle innovation RH et tendances du marché. Je m'appelle Amélie Alleman et je suis la fondatrice de Beetuned, la nouvelle manière de recruter et de développer votre marque employeur. Aujourd'hui, je suis en compagnie de Christine Thiran, DRH de la RTBF. Christine, bonjour.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, je te laisse peut-être te présenter, nous parler un peu de ton parcours, qui tu es ?

Christine Thiran: Ok. Voilà, Christine Thiran. Je dis toujours que j'ai le nom de l'emploi, Thiran comme DRH, c'est vraiment bien lié. Alors, rien ne me prédisposait à être DRH puisque, de manière… quand je suis sortie de l'unif en sciences éco, je voulais devenir prof d'unif. Donc voilà.

Amélie Alleman: D'accord.

Christine Thiran: En régulatoire des télécommunications. Donc je me suis spécialisée dans ce domaine-là. Donc voilà, je voulais… et donc j'ai commencé par de la recherche à l'université, au centre de recherche informatique et droit à Namur.

Amélie Alleman: Ok.

Christine Thiran: Et puis, bien que c'était intéressant et que ça permettait de grandir, j'ai été contactée pour pouvoir rentrer à Belgacom.

Amélie Alleman: Hmm hmm.

Christine Thiran: Dans mon domaine d'expertise qui est le régulatoire. Donc je suis rentrée à Belgacom dans tout ce qui est régulatory. Et puis, dans des grosses boîtes, c'est ça qui est bien. La carrière s'est faite de rencontres et d'opportunités. Et donc, à un moment donné, après avoir changé de job puisqu'on changeait régulièrement à Belgacom, le numéro 2 de Belgacom, un Américain d'Ameritech, m'a proposé de devenir DRH d'une business unit avec mon patron de l'époque, Baudouin Meunier. Et donc je suis devenue DRH en un week-end. J'avais aucune compétence en ressources humaines.

Amélie Alleman: Félicitations.

Christine Thiran: Je ne sais pas, en tout cas, j'ai plongé dans la piscine et j'ai mis du temps à toucher le fond parce que voilà. Et un apprentissage que j'ai eu, c'est le fait que on réussit par l'équipe, avec l'équipe. Et que ce n'est pas tout seul, certainement pas. Et donc voilà, c'est un apprentissage qui me suit depuis toute ma carrière. On travaille avec d'autres personnes et c'est grâce aux autres que l'on grandit et que l'on réussit. Ce n'est jamais tout seul.

Et donc j'ai grandi à Belgacom, j'ai fait plusieurs fonctions pour faire aussi la partie RH du plan de restructuration, le deuxième plan social de Belgacom. Et puis voilà, il y a eu le décès de John Goossens, est arrivé Didier Bellens. On n'était pas totalement alignés au niveau RH. Et donc j'ai postulé via une annonce dans le journal à l'époque.

Amélie Alleman: Ouais. C'est vrai qu'à l'époque, c'était des journaux.

Christine Thiran: Et voilà, c'était… et donc j'ai été prise comme DRH aux Cliniques universitaires Saint-Luc en 2004. Et là, je suis restée plus d'une dizaine d'années pour développer toute la partie RH dans un hôpital académique. Donc c'est des médecins profs d'unif, c'est assez complexe à gérer quand on n'est pas vous-même médecin et pas académique.

Amélie Alleman: Ouais, la légitimité.

Christine Thiran: Donc voilà. Et donc voilà, et puis après, à un moment donné, j'ai eu l'envie de changer. Je suis partie quelques mois au groupe Mestdagh.

Amélie Alleman: OK.

Christine Thiran: Et puis la RTBF est revenue toquer à ma porte. Il était déjà venu quelques années précédemment, mais là j'étais à Saint-Luc et je trouvais que j'avais pas encore fini mon boulot. Et donc, Jean-Paul Philippot, via le chasseur de tête, est revenu toquer à ma porte. Je me dis : « Ben, c'est pas… on va pas revenir une troisième fois ». Et donc j'ai postulé, j'ai été prise et donc je suis directrice générale des ressources humaines depuis septembre 2015 à la RTBF. Donc je suis dans mon deuxième mandat de directrice générale.

Amélie Alleman: OK.

Christine Thiran: Voilà le parcours.

Amélie Alleman: Eh ben, beau parcours, hein !

Christine Thiran: Oui, mais je crois que mon parcours, c'est… quand je parle aux étudiants, parce que j'aime beaucoup le monde académique, une carrière, ça se construit pas autrement que par des opportunités qui se présentent, des rencontres que l'on fait et on prend le risque ou pas. Et quand on prend le risque, il y a des moments, des fois où ça marche et puis peut-être qu'il y a des moments où il y a des apprentissages à faire. Et donc moi, je ne crois pas à des carrières qui sont toutes tracées et que on fait quelques années dans telle fonction, dans telle autre, on va à l'étranger. Je crois que c'est illusoire dans un monde qui bouge tellement vite. Et donc souvent, j'utilise mon parcours pour montrer que voilà, c'est des opportunités qui se saisissent et puis on se bat, on fait le max et on travaille avec d'autres et c'est ensemble qu'on réussit. Donc voilà, c'est vraiment ça que j'essaie toujours de retirer de mon parcours.

Amélie Alleman: Ouais, je pense aussi. Je suis convaincue qu'il faut créer sa chance aussi et que c'est avec l'humain qu'on bosse surtout.

Christine Thiran: Tout à fait.

Amélie Alleman: On va parler un peu de la transformation de la RTB.

Christine Thiran: Ah oui.

Amélie Alleman: Je pense qu'il y a de quoi parler.

Christine Thiran: Il y a de quoi parler.

Amélie Alleman: Tu veux nous expliquer un petit peu toute la transfo que vous avez eu ces dernières années et toute l'implication que ça a eu parce que au niveau de la redéfinition des rôles… enfin, expliquer un petit peu peut-être le contexte ?

Christine Thiran: Oui, tout à fait. Donc comme je l'ai dit, je suis arrivée en septembre 2015 et rapidement après, Jean-Paul Philippot est venu me parler et m'a dit : « Écoute, je crois que le modèle a vécu, le modèle RTBF. Et si on veut être encore capable de pouvoir être pertinent dans le futur, il faut que on modifie notre organisation et qu'on se transforme ». Donc voilà. Alors j'ai dit oui, OK. Et puis en fait, c'était pas une petite transformation. En fait, à l'époque, en 2016-2017, les audiences étaient vraiment très bonnes. La situation financière de la RTBF était aussi très bonne. Et Jean-Paul a dit : « C'est en ce moment-ci qu'il faut pouvoir changer et s'adapter ». Donc je trouve que d'abord, c'est une transformation, c'est la vision d'un leader. Et je veux mettre en avant la vision de Jean-Paul Philippot parce que voilà, c'est… on aurait pu très bien ronronner sur… comme beaucoup le feraient. Et il a dit : « C'est le moment ou jamais ».

Donc, et pourquoi est-ce qu'il s'en rendait compte ? C'est parce que on voit, et sans doute que tu vois, enfin ton fils est encore trop petit, mais les jeunes générations et les jeunes adultes ne vont plus vraiment regarder la TV. Ils écoutent sans doute encore la radio quand ils sont dans tous les bouchons ou autres. Mais ils vont dans le digital, ils vont sur les réseaux sociaux. Et je sais qu'on avait des chiffres que je n'ai plus en tête, mais lors des attentats de Maelbeek, de Zaventem, etc., on voyait que les sources d'information, c'était son entourage et puis les réseaux sociaux. Donc ce n'était pas les médias. Et donc ça montre bien qu'il y a un shift de consommation des médias. Et donc il faut que la RTBF soit là où les auditeurs, les téléspectateurs se trouvent. Et donc c'est pour ça, c'est ça vraiment l'origine, c'est de dire : on consomme les médias différemment. Et donc on doit se transformer.

Et deuxième chose, on constatait que on était organisé par plateforme. Donc on avait une direction TV, direction radio et web. Mais quelqu'un qui travaillait, par exemple dans la direction TV, pouvait ne jamais parler à quelqu'un qui parlait à la direction radio. Il n'y avait pas de cross-média. Et donc c'était… or, pour l'auditeur ou le téléspectateur, lui, il consomme des contenus. Que le contenu soit à la TV, à la radio, dans les réseaux sociaux, sur l'application, sur… voilà. C'est… et donc on s'est dit, il faut vraiment renverser et mettre un modèle qui soit orienté public. Et donc, au lieu d'être orienté par rapport aux plateformes, on a défini les publics et on a défini quatre publics. On a défini deux publics de conquête, qui sont les jeunes générations (qui savent tout juste encore ce que c'est que la RTBF) et les jeunes adultes. Et ça, c'est les deux publics de conquête qu'on a bien définis. Et puis il y a deux publics au niveau consommation et sur lesquels on veut vraiment capitaliser. Il y a tout ce qui est affinitaire, par exemple quelqu'un qui aime la musique classique écoutera Musiq3. Et puis il y a le « nous », qui est par exemple tout ce qui est le sport. On regarde souvent, combien de fois, quand il y a eu la Coupe du monde, on faisait un barbecue chez soi et puis on regardait la télé. Et donc il y a une communauté que l'on fait. Et donc c'est des modes de consommation différents. Et donc on a tout organisé, on a défini nos plateformes. La Une se trouve sur le « nous », par exemple. Musiq3, c'est les affinitaires. Tarmac, c'est les nouvelles générations. Donc chaque plateforme RTBF a été attribuée à un public que l'on visait.

Amélie Alleman: D'accord.

Christine Thiran: Mais donc, voilà, ça c'est la logique d'organisation. Et je dis toujours que notre organisation, c'est une pizza avec au centre de la pizza, qui sont les publics. Ensuite, vous avez le pôle média et le pôle contenu. Donc le pôle média qui doit connaître les publics et puis qui doit diffuser des contenus sur les différentes plateformes au bon moment pour toucher les bonnes… les bons publics et qui commande au pôle contenu. Et donc, il y a une discussion entre contenu et média sur les contenus à mettre. Parce que faire de la télé, c'est différent de faire de la radio, c'est différent d'écrire sur les réseaux sociaux qui ont des modes d'écriture différents, sur Facebook… si vous écrivez sur Facebook, sur Instagram, etc. Donc tout ça, c'est des choses, des codes que l'on doit apprendre. Et donc, c'est ça toute la réorganisation quand je parle business de la RTBF. Et donc c'est ça qu'on a appelé Vision 2022, qui a commencé par une transformation et un changement complet de l'organisation des organigrammes et de l'organisation au sein de l'entreprise. Et c'est surtout ça qui a été mené jusque 2018-2019.

Et puis alors, on a refait un nouveau plan stratégique 2027 qui s'appuie sur Vision 2022 pour aller encore plus fort, encore plus loin dans tout ce qui est digital, dans tout ce qui est propriété intellectuelle, dans tout ce qui est contenu propre de la RTBF et dans notre ouverture à nos écosystèmes et donc aux producteurs indépendants et autres parce que nous faisons partie d'un écosystème et nous devons être un vecteur sur lequel on doit s'appuyer pour fournir des contenus belges de proximité, vraiment que l'on ne trouve pas sur Netflix ou autre, puisque depuis lors, il y a Netflix, Amazon, etc. Le monde a changé.

Amélie Alleman: Oui, clairement.

Christine Thiran: Donc voilà, c'est, si je peux expliquer, la transformation, c'est ça la transformation de la RTBF. Et maintenant, la couche supplémentaire, c'est le gros paquet d'économies que l'on a avec la dotation qui a été gelée. C'est quand même 133 millions d'euros d'économies jusque 2028. C'est quand même plus de 170 équivalents temps plein de moins, donc c'est 10 % des effectifs.

Amélie Alleman: 10 % des effectifs de la RTB.

Christine Thiran: De la RTBF qui vont devoir diminuer et on veut, d'ici…

Amélie Alleman: D'ici quand ?

Christine Thiran: D'ici 2028, fin 2028. Et on veut, Jean-Paul et moi, ne pas faire de plan de licenciement pour raison économique, ce que beaucoup d'autres médias font. Si on regarde RTL, la VRT en a fait. Et c'était pas… c'était 50-60, mais je me souviens quand ils l'ont fait et qu'on rentrait dans l'entrée du bâtiment, un jour, je suis rentrée dans cette entrée et vous aviez tous les noms de chaque travailleur qui était licencié sur une sorte de poteau en bois. Et voilà, c'était comme si c'était une marche funèbre. Et donc c'est voilà, c'est une des raisons pour lesquelles Jean-Paul et moi, on veut vraiment éviter. C'est que une entreprise publique qui fait des licenciements pour raison économique, il faut vraiment qu'on soit en péril ou qu'on nous demande 30 % d'économie en très peu de temps. Ça, à un moment, on ne sait pas le faire. Ici, on veut essayer de promouvoir les départs volontaires et les réductions de temps de travail. Mais donc voilà, c'est tout le plan stratégique et la couche supplémentaire, les économies et le départ de Jean-Paul Philippot dans les mois qui viennent puisque voilà, il arrive à fin de son mandat et donc tout se discute pour le moment sur le renouvellement de son mandat.

Amélie Alleman: OK. OK.

Christine Thiran: Donc voilà, ça ça vient… on a un capitaine sur le bateau qui est essentiel. On va voir ce qui va… quelles sont les décisions du gouvernement, puisque c'est le gouvernement qui décide.

Amélie Alleman: Ça se décide quand ?

Christine Thiran: Pour l'instant, on a débuté la phase d'évaluation de Jean-Paul Philippot de fin de mandat. Et sur base de cette évaluation qui est faite avec un collège d'experts externes, donc des gens vraiment compétents externes qui ont été choisis, le gouvernement décidera s'il renouvelle ou pas. Mais même une évaluation positive, le gouvernement pourrait dire qu'il ne renouvelle pas.

Amélie Alleman: OK.

Christine Thiran: Donc voilà, on est dans une grosse incertitude en plus.

Amélie Alleman: Ça fait… ça fait beaucoup.

Christine Thiran: Ça fait beaucoup sur le dos, oui, ça c'est clair.

Amélie Alleman: Les transformations que vous avez subies ces dernières années, au niveau vraiment RH, il y a des leçons particulières que tu en as tirées ? Parce que de ce que j'en ai compris, vous avez retransformé quand même l'organigramme, les différentes fonctions. Les gens ont dû reposter.

Christine Thiran: Oui, c'est ça. Donc on a eu à peu près 90 % des mandataires qui ont dû postuler, reposter. Et donc je me souviens…

Amélie Alleman: Repostuler à leur job ?

Christine Thiran: À un nouveau job. Donc ça veut dire que je me souviens très bien… Quand je suis arrivée à la RTBF, on m'a toujours dit : « À la RTBF, dès qu'il y a un mandataire qui part, on recrute en externe et on prend quelqu'un d'externe ». Et donc c'était une grosse frustration en interne parce qu'on n'a pas un turnover très important à la RTBF et donc les opportunités ne sont pas pléthoriques.

Alors, ce qu'on a décidé avec Jean-Paul Philippot — pourquoi est-ce que je parle toujours de Jean-Paul Philippot ? Parce que le DRH doit être tout à fait en lien avec le CEO et le premier people manager d'une entreprise, c'est le CEO. Donc pour moi, je ne serais pas dans une entreprise si je ne suis pas en phase avec le CEO et si le CEO ne porte pas son rôle de people manager.

Amélie Alleman: On en parlait juste avant, tu me disais que par exemple si c'est rattaché à la finance, c'est une structure de coût et donc c'est pas…

Christine Thiran: Donc ça, je n'y viendrais jamais, quoi. Ça, c'est clair. Donc c'est pour ça que je le dis franchement, je crois que le CEO a vraiment son rôle à jouer. Et donc c'est pour ça que je cite Jean-Paul Philippot, parce que pour moi, c'est le premier people manager dans la maison.

Amélie Alleman: C'est l'ambassadeur et le capitaine de la…

Christine Thiran: Tout à fait. Et c'est lui qui donne le ton ou qui accepte les propositions et on doit être totalement en phase. Moi, je ne reste pas dans une boîte où je ne serais pas en phase avec le CEO. Alors, je me rappelle très bien un top 200, donc les 200 cadres de la maison, où on a annoncé à tous ces cadres qu'une grosse partie allait devoir… on allait leur retirer leur mandat. Alors c'est très compliqué juridiquement, mais on le fait avec le CA, donc c'était un gros travail juridique. Donc en tant que DRH dans des transformations d'entreprises publiques, vous devez maîtriser les réglementations et les droits administratifs et autres. Donc ça, c'est une grosse partie. Mais donc on leur a dit : « Il y a beaucoup de cadres qui vont… enfin la toute grosse majorité va devoir reposter et ça va être des jurys et on ne promet pas que chacun va être pris ». Donc on ne s'engageait à rien. On dit : « On va faire des processus de sélection ». Le seul engagement qu'on prenait, c'est qu'on allait promouvoir la mobilité interne. Donc on allait promouvoir l'interne.

J'ai entendu des sarcasmes dans la pièce en disant : « Oui, oui, c'est ça », parce que oui, on recrute, mais on recrute toujours en externe. J'ai quand même… sur… j'ai essayé de reprendre un certain nombre de chiffres. Je crois qu'on avait à peu près… attendez, je vais essayer de retrouver mes chiffres parce que je ne sais plus…

Amélie Alleman: Moi, je peux attendre, hein.

Christine Thiran: Euh, qu'on avait… On avait 90 % des fonctions éditoriales qui ont été remplies par des gens en interne. On a ouvert 167 postes. C'est énorme, hein. De janvier 2018 parce qu'on devait être en phase et implémenté, donc open and running en septembre 2018. Et ça, Jean-Paul a dit : « On le fera ». J'ai dit : « Oui, mais enfin, tu as vu le timing, quoi, c'est de la… » Mais on l'a fait.

Donc on a eu 167 postes, on a eu 415 candidatures. Donc ça veut dire que les gens ont cru à notre message. Parce qu'ils auraient pu ne pas postuler et se dire : « Non, ça ne marchera pas de toute façon ». Et pour ces 167 postes, on en a pourvu 154. Et sur les 154, 146 en interne et 8 en externe. Donc ça montre bien qu'on a, voilà. Et donc ça, on a vraiment fait le taf de montrer qu'on le faisait.

Et donc ça, c'est un élément important, mais ça veut dire que au niveau RH, on avait toute la phase de recrutement, donc de faire les organigrammes, les contenus de fonction, d'expliquer ces contenus de fonction, d'ouvrir les postes, de faire les jurys, enfin tout tous ces aspects-là. Donc de faire toute la factory pour faire en sorte que on passe dans la nouvelle structure à temps, et tous les aspects comp & ben aussi, salariaux et autres, donc contrats. Enfin, donc c'était énorme. Mais en parallèle, il était juste essentiel d'accompagner humainement toutes ces personnes. Il était juste essentiel de ne laisser personne sur le bord. Et ça, ça a été vraiment mon drive. Si à un moment, je n'entendais pas parler d'un d'un cadre, et j'étais dans les top 200, et si je ne savais pas ce qui se passait ou si on ne voyait pas pourquoi la personne n'avait pas postulé alors qu'on imaginait qu'elle ait postulé, j'avais vraiment motivé mes équipes à ne laisser personne sur le côté, à aller chercher les gens. Parce que le pire, c'est de laisser les gens sur le côté. Ils ne comprendront pas et ils commenceront à avoir des pensées qui ne sont pas positives. Et donc ça, c'est… Et donc on a tout l'accompagnement et on avait mis en place dans le plan de transfo, notamment Sandrine était responsable de tout ce qui était gestion du changement, on avait mis en place une équipe interne de sept personnes pour développer ce nouveau modèle d'entreprise, pour travailler avec les experts. On a fait énormément de groupes de travail, c'était un boulot de dingue. J'étais à la limite parce que j'avais deux jobs, j'avais la coordination du plan de transfo et mon job de DGRH. Je peux vous assurer qu'à un certain moment, c'était compliqué. Et donc, parce que c'était quand même deux jobs et j'avais pas été déchargée de mon job de DGRH, ou moi, en partie.

Et donc on a fait un travail énorme avec l'entreprise pour dessiner ce modèle et puis alors il fallait le traduire dans les organigrammes, il fallait le traduire dans les descriptions de fonction, il fallait ouvrir les postes, faire tout le processus de recrutement et, avec tes boîtes, tu connais ce que c'est que le recrutement, ça prend du temps. Et de le faire de manière transparente et respectueuse des processus aussi. Et puis, c'était l'autre, c'était d'avoir tout ce flux de personnes qui perdent leur emploi, parce que c'était ça. Je perds mon emploi. Et donc en perdant mon emploi, je devais absolument les garder motivés pour continuer à gérer l'activité qui gérait jusqu'à présent et postuler dans des nouveaux postes et donc se projeter dans les nouveaux postes.

Donc on avait par exemple quelqu'un qui était directrice de la Première, de la radio la Première. La fonction disparaissait et cette personne a postulé dans un autre poste, mais il fallait que la Première continue à fonctionner. Qu'elle continue à gérer les équipes, qu'elle continue à s'occuper de l'éditorial, enfin. Donc c'était quand même pas évident du tout de passer de l'ancienne structure à la nouvelle structure pour les personnes aussi. Ils se sont beaucoup investis. Donc on a fait énormément de programmes d'accompagnement, de gestion du deuil parce que couper, casser les équipes comme ça… Je suis dans un comité de direction, ce comité de direction n'existe plus, on passe à une nouvelle structure, il y a un deuil. Il faut le reconnaître, même si mon patron, ça l'énervait que je parle de ça. Mais il y a quelque chose parce que j'ai construit des affinités avec des personnes et je sais que je ne vais plus retravailler en direct. Je suis dans la même boîte, mais je ne vais plus retravailler en direct. Donc… et puis il y avait des fonctions qui étaient très difficiles à comprendre, qui étaient très novatrices parce qu'on passait dans un modèle digital avec plein de fonctions digitales. Et donc il fallait leur expliquer, faire des sessions, leur faire comprendre. Pour certains, de réexpliquer, c'est quoi postuler.

Amélie Alleman: Oui.

Christine Thiran: Parce que c'est pas faire un CV, un jury, etc. Donc c'était un moment, enfin, je trouve un moment extraordinaire, un travail monstre, mais un moment extraordinaire humainement. Parce que l'entreprise ne s'est jamais arrêtée. Je n'ai pas eu d'arrêt avec les syndicats, avec des grèves, etc. Il y a eu… Alors, ça touchait le top 200, mais on pouvait avoir les équipes en dessous qui disent : « Mais qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qui se passe ? » Et donc on a eu aucun arrêt, on a continué à être au top dans les audiences, on a continué à être bon au niveau financier. Donc les indicateurs ont été bons, mais c'est vrai que ça a été un exercice pas passionnant, mais très complexe. Surtout qu'en plus, on a travaillé sur le layer sur en tant que leader, je change ma posture de leader. Être leader dans l'ancienne structure et être leader dans un monde, dans une organisation plus digitale, on a changé les les les compétences de leader que l'on cherchait. Donc on a travaillé sur tous les niveaux et donc c'est pour ça que c'est une énorme… une énorme entreprise qui a été, qui est encore utilisée dans beaucoup d'autres médias publics parce qu'ils ont trouvé qu'on allait… on a été très très vite et que l'organisation qu'on a est pertinente. Elle est pertinente même maintenant face aux défis financiers qu'on a, face aux défis de l'environnement qui évolue encore plus vite, qui se digitalise de plus en plus et encore plus, où les médias sont de plus… sont quand même la confiance des médias, c'est quand même pas si évident que ça et on se fait critiquer par voilà, tout ce qui est d'autres personnes. Le Covid n'a pas aidé et d'autres. Donc, mais malgré tout ce qu'on a fait là reste pertinent. Donc et heureusement, parce que si on n'avait pas fait ça, je ne sais pas où on en serait aujourd'hui, à la fois au niveau de l'organisation, au niveau de nos missions, mais aussi au niveau du défi financier auquel on doit être confronté, quoi.

Amélie Alleman: Vous avez déjà ces dernières années été tellement dans cette transfo que vous êtes armés pour pouvoir…

Christine Thiran: Tout à fait, mais il faut qu'on aille plus fort, plus vite. Donc voilà, parce que par exemple, au début, on a dit la polycompétence, donc de quelqu'un qui doit avoir différentes compétences diverses, donc de de casser ces murs dans les métiers. Or, on sait que le métier est une source d'appropriation et de reconnaissance des travailleurs. C'est la même chose que dans les hôpitaux. Je compare souvent les médias et les hôpitaux. Moi, j'ai fait des études comme ingé son. Je reste un ingé son, c'est mon métier. Et quand je commence à dire, on commence à dire : « Oui, mais tu pourrais faire d'autres choses à côté », il y a le sentiment de : « Mais je perds mon identité, parce que moi j'ai étudié pour faire ça et je fais des super émissions et la qualité est top ». Et donc vous allez me demander d'être un peu un Remi Bricoltout avec différentes compétences, etc. Au début, on l'a dit : on le fait de manière volontaire. Maintenant, on dit : « Ça doit être un cadre de fonctionnement pour tout le monde ». Mais c'est un changement terrible pour des personnes qui ont toute leur vie rêvé d'être dans tel métier, qui ont fait ces études, qui ont réussi à décrocher un emploi, un CDI à la RTBF. Parce que c'est rien à faire, l'emploi dans le monde de la communication, des médias, il y a plus… ça devient un service quand même, un secteur qui n'est quand même pas en situation facile. Et puis maintenant, on me dit : « En plus, je vais devoir évoluer dans mes compétences alors que c'était mon rêve ». Donc voilà, il y a quand même des changements très importants culturels et des défis humains… enfin pour moi, c'est des défis humains gigantesques.

Amélie Alleman: Et quelles sont, selon toi, vraiment les clés qui ont permis cette transformation ?

Christine Thiran: Je crois…

Amélie Alleman: Parce que c'est des adaptations quand même assez dingues.

Christine Thiran: On a passé beaucoup de temps à expliquer le sens, le pourquoi. Euh, à beaucoup essayer d'avoir un storytelling qui faisait sens. Je crois que le sens… quand on perd le sens et quand on n'a pas de sens dans ce qu'on fait, c'est très difficile d'avancer. Donc on a passé, et pour ça, Jean-Paul est quand même quelqu'un de très fort, c'est de montrer pourquoi avec des chiffres, avec ce qui se passe à l'extérieur, etc. Donc on comprend.

Deux, ça a été parce que on a beaucoup travaillé au niveau… faire participer les équipes ou en tout cas les membres des experts dans cette transformation de l'organisation. C'est pas en chambre, un petit groupe avec des consultants qui débarquent. Il y a eu beaucoup… et il y a eu des allers-retours. Par exemple, l'info a fait une transfo et puis très rapidement, on s'est rendu compte que cette transfo ne marchait pas. Et donc on a fait la transfo de la transfo. Et puis on a encore fait des modifications.

Et donc on est passé, même maintenant, c'est devenu dans l'ADN et de passer d'un mode de transformation à un mode d'amélioration continue. Et donc de se dire… Et ça, on l'avait dit Jean-Paul et moi : « On va tellement vite qu'on va faire des dégâts. Il y aura des choses qui seront complètement stupides, qui seront nulles, et ben on corrigera ». Mais le défi dans toute transfo, c'est de dire : « Je le fais vite pour que l'incertitude dure le moins longtemps possible, mais avec des erreurs, parce qu'on n'aura pas tout analysé et on fait des erreurs et on en a faites ». Et de l'autre côté, on prend le temps, donc on fera moins d'erreurs, mais l'incertitude va rester beaucoup plus longtemps. Et donc il n'y a pas de bonne solution. La voie qu'on a choisie, c'est de le faire vite pour minimiser le temps d'incertitude et de reconnaître qu'on fera des erreurs. Ce qui est difficile dans une boîte comme la RTBF parce que la… le souci de qualité est tellement présent que voilà, quand je fais une erreur, ça ne va pas. Et donc, certains disaient : « Oui, mais on a fait des erreurs ». Ben, on a dit : « On l'a toujours dit. Il n'y a pas de problème. On fait des erreurs, on corrige, on améliore ». Et donc, c'est… et c'est pour ça qu'on a créé cette équipe d'amélioration continue. Pour moi, l'erreur que j'ai faite, c'est que l'équipe de transfo, donc les 6-7 personnes qui étaient là pour nous aider à construire le modèle, j'aurais dû réfléchir de de de créer l'équipe d'amélioration continue plus tôt. On a laissé pendant à peu près 6 mois à 9 mois une période trop longue où on… j'aurais dû anticiper, mais bon, avec tout ce qu'il y avait là, c'était compliqué, mais c'est un apprentissage. C'est que on a… quand on n'est pas… enfin, j'aurais dû réfléchir, même pas à la sortie de la transfo, mais en se disant : « Au milieu de la transfo, qu'est-ce que je fais après avec l'équipe de transfo ? Comment est-ce qu'on fait évoluer cette équipe ? ». Et donc on l'a faite évoluer. Alors soit ils ont évolué en interne ou certains sont restés dans une équipe d'amélioration continue avec un recrutement d'une personne externe pour apporter vraiment la méthodologie d'amélioration continue. Et donc on est vraiment là-dedans maintenant.

Amélie Alleman: Et comment on tient avec toutes ces casquettes en tant que DRH ?

Christine Thiran: Euh… On me dit toujours : « Il faut prendre soin de soi », comme je le répète à tout le monde. Euh, ben j'ai beaucoup d'énergie, je crois. Je crois que c'est ça. Mais j'étais limite à certains moments. Ça, je le reconnais parce que j'étais… c'était trop. Et donc je me rends compte aussi que ma satisfaction par rapport à tout ce qui a été fait, j'aurais voulu mieux faire, notamment dans certains suivis ou passer plus de temps dans certains aspects, mais j'avais pas le temps. Et donc, il y a oui, on est fier de ce qu'on fait ensemble, mais il y a des choses qu'on aurait pu améliorer si j'avais eu un peu plus de temps. Mais c'est vrai que c'était compliqué et peut-être que j'étais pleine d'énergie aussi, mais j'étais limite. Donc voilà, j'ai… je suis une force de de boulot, je crois, de travail, mais ça a été compliqué à certains moments et je… beaucoup de personnes autour de moi font que me dire : « Pense à toi ». Et donc et je ne pense pas assez. Donc je reconnais, je ne suis pas un modèle là-dedans. Or, je devrais avoir un rôle d'exemplarité.

Amélie Alleman: C'est beau, hein. Qu'est-ce qui toi te drive ? C'est le métier qui fait ça de toute manière.

Christine Thiran: L'impact. L'impact humain. Le jour où je n'ai plus l'impact humain qui me fait sens et que je deviens… que ressources humaines, c'est une variable d'ajustement, par exemple, financière, c'est des chiffres… ça, moi ça ne me drive pas. Pourtant, je suis économiste et je suis d'une formation la plus théorique possible, avec de la micro, macro-économie, économétrie, donc j'étais là-dedans. Donc j'aurais pu très bien être comme beaucoup d'amis dans les banques et dans tout ce qui était… mais moi, ça ne me drive absolument pas. Ma carrière, c'est tout… chaque fois dans le secteur public, non-marchand. J'aurais pu faire une carrière dans des boîtes internationales, privées, cotées en bourse. Mais je crois que ça ne me donne pas le sens. Et donc je crois que le sens, c'est l'impact que j'ai dans l'organisation et l'impact et le sens que ça peut avoir pour la société en Belgique. Je suis encore membre… enfin, je suis présidente du Conseil d'administration dans le secteur hospitalier et je donne gratuitement mon temps là-dedans, à William Lennox, un centre hospitalier neurologique pour tout ce qui est problèmes neurologiques, AVC et autres. Ben, je suis présidente du CA. On a un gros projet de rénovation de plus de 80-90 millions d'euros, de tout le bâtiment. Mais bon, ça me drive, c'est pour 0 euro et j'ai pas envie de tout ça. Donc c'est même pas l'argent qui me drive. C'est l'impact sur la société, l'impact sur l'humain dans l'organisation et de me rendre compte que je veille à… si je me bats autant contre les plans de licenciement pour raison économique, c'est que je trouve que j'ai une responsabilité par rapport aux familles que j'engage quand j'engage quelqu'un. Et licencier pour raison économique, voilà, on met des difficultés. Et donc je ferais tout pour éviter, sauf si à un moment donné, on me donne des contraintes telles que je ne saurais pas. Mais alors peut-être que je prendrais d'autres décisions personnelles.

Amélie Alleman: Oui, parce que je suis libre.

Christine Thiran: Eh ben, waouh, bravo ! Je pense que tu es, comme tu l'as dit, force de travail. Tu aimes ça ?

Christine Thiran: Oui, j'aime ça parce que je travaille dans l'humain. Donc c'est voilà, c'est… et je me dis, quand je regarde ce qui a été fait ou ce qui est à faire encore maintenant, ben j'ai… c'est quelque chose qui me fait tellement sens dans ma vie. Et voilà, à certains moments, il faut vraiment… alors ce que je… je n'habite pas à Bruxelles et pour moi le Carrefour Léonard, même si c'est un enfer pour le moment, le Carrefour Léonard est un moyen pour moi de laisser mon boulot et de ne pas… et de se dire : « OK, maintenant tu es… tu rentres à la maison et tu laisses le boulot ». Alors, je ne réussis pas toujours parce qu'on est dans l'humain et qu'il y a des dossiers qui sont interpellants, mais c'est une manière d'essayer d'y arriver, quoi. Et il va falloir que je réduise peut-être un peu, parce que je prends de l'âge quand même un tout petit peu, hein, j'arrive proche de 60, donc enfin 57. Donc voilà, je commence un peu à fatiguer.

Amélie Alleman: Oui, et puis tu me disais ce matin que tu étais déjà au bureau à 5h50 avant de venir enregistrer à 9h.

Christine Thiran: Oui, tous les jours à 5h du matin. Je me lève. Donc ça, c'est par exemple quelque chose qui me fatigue. Voilà. Et je le fais parce que ici, avant de venir ici, j'ai voulu préparer toutes les réunions que j'ai après. Et c'est tout le temps des réunions avec impact et… si j'étais… comme directrice générale, on se retourne souvent vers vous pour dire : « Tiens ». Et quand on va dans une réunion, c'est pas pour être spectatrice. Et donc j'ai besoin, et ça c'est pour ma satisfaction, j'ai besoin d'être préparée. J'ai des one-to-one avec mes collaborateurs, j'ai une réunion syndicale, j'ai un comité de pilotage pour un système d'information développé dans SuccessFactors. Donc voilà, il a fallu que je prépare ça et puis j'ai pris mes trams pour venir jusqu'ici.

Amélie Alleman: Merci en tout cas Christine de prendre ton temps.

Christine Thiran: Non non, mais c'est avec plaisir.

Amélie Alleman: Parce que je sais que tu es très occupée. Ton temps parce que… Tu… Peut-être un autre sujet : les présentateurs, animateurs.

Christine Thiran: Oui.

Amélie Alleman: Ben c'est également des ambassadeurs de marque.

Christine Thiran: Ah oui, ça !

Amélie Alleman: Euh, dans un monde d'influence médiatique, comment vous faites en fait pour les accompagner ?

Christine Thiran: C'est et je veux dire, c'est Sandrine lors de la transfo qui est venue m'en parler.

Amélie Alleman: Hmm hmm.

Christine Thiran: Euh, en disant : « Mais en fait, c'est nos premiers ambassadeurs, c'est eux qui sont face au micro, face à la caméra ou sur les réseaux sociaux ou… » Et donc ça a été vraiment… et en fait, on s'en occupait mais pas vraiment. Enfin, voilà, c'était un peu spécial. Alors que par exemple…

Amélie Alleman: C'était inné dans leur job et donc on…

Christine Thiran: C'était inné, mais on ne communiquait pas le plan stratégique. Or, ils sont en contact avec plein de gens. Et s'ils veulent pouvoir expliquer la RTBF, ils devraient être un minimum au courant de certaines choses. Et donc, il y avait toute une population dont on ne prenait… on didn't take care enough, enfin, de manière centrale. Donc je ne parle pas des personnes, des producteurs et autres qui s'en occupent. Mais au niveau corporate, il y avait quelque chose qui ne… chacun s'en occupait dans son coin et il n'y avait pas quelque chose de transversal.

Et donc, on a fait à la fin de la transfo une analyse en essayant de comprendre leurs besoins. Et j'avais mis… j'avais trouvé un petit budget pour que Sandrine puisse faire ce travail-là, comprendre, aller voir. Surtout qu'elle, ça c'était très important pour elle, enfin c'était un message important. Et donc en 2022, on est arrivé avec une proposition d'accompagnement et d'une plateforme d'accompagnement, avec Sandrine, avec Vincent, une autre personne, qui vont s'occuper de, de manière transversale. Et donc en fait, j'ai regardé et j'avais eu une présentation, on a à peu près 750 incarnants en 2022.

Amélie Alleman: Quand tu parles d'incarnant ?

Christine Thiran: Incarnant, ça veut dire c'est des présentateurs, des animateurs, des chroniqueurs. À peu près la moitié sont sur payroll RTBF, donc sont… mais la moitié sont freelance ou sont intérimaires. Et donc un point qui m'avait frappée, c'était lors du Covid, on avait ces masques qu'on avait préparés pour les membres du personnel et on a dit : « Oui, logique, rien que pour les membres sur payroll ». Mais donc ça veut dire que les indépendants qui sont face caméra, ils avaient des autres… des autres masques, mais pas avec le logo RTBF, ce qui était débile, complètement débile comme décision. Et donc c'est toutes des choses comme ça où on dit : « Oui, mais attends, c'est quand même des gens qui sont RTBF, qui ont un statut différent, mais qui représentent ». Alors, il faut faire attention aux aspects juridiques, légaux, mais il faut aussi faire attention aux impacts qu'ils peuvent avoir par rapport à notre organisation. Et donc c'est de là qu'est venue vraiment toute l'idée de mieux accompagner ces personnes qui sont indépendantes et salariées.

Alors, il y a ces différences de statut qui sont pas faciles parce que voilà, un salarié a des avantages qu'un indépendant n'a pas. Au niveau du salaire, c'est la sécurité, etc. Et voilà, et certains indépendants voudraient être salariés, sont indépendants parce qu'on leur a dit que on n'engageait que comme indépendant. Et donc il y a toute cette problématique-là qui se vit. Et puis, il y avait des problématiques aussi annexes. C'était par exemple tout ce qui était… tout le problème de coiffure. Moi, je ne me rendais pas compte, mais c'est important. On n'avait pas de coiffeur à un moment. On avait des coiffeurs, puis il n'y en a plus eu pour raisons d'économie. Et donc nos animateurs, présentateurs doivent aller chez des coiffeurs aux alentours pour faire leurs émissions. Le fait qu'on a réouvert et qu'on a refait un système low-cost au niveau coiffure a été vraiment un signe de reconnaissance. Et je ne m'en rendais pas compte. Le stylisme aussi, enfin je me… tout des aspects que moi qui ne connais pas du tout, je ne me rendais pas compte de l'impact que ça pouvait avoir sur eux.

Amélie Alleman: Ça apporte une forme de reconnaissance.

Christine Thiran: Voilà. Et donc c'est ce genre de de de de détails, qui enfin de détails très importants, mais de qui pour moi n'étaient pas sur mon radar, qui ont été faits. Mais aussi des sessions où on explique aux gens, c'est quoi la stratégie, c'est quoi MediaSquare, ce grand bâtiment qui est occupé, qui vont devoir utiliser dans les studios. Comment est-ce qu'ils vont le faire ? C'est quoi… c'est quoi la la la vision de la RTBF du futur ? C'est quoi ce plan d'économie ? Donc si on ne s'en occupe pas, mais comment est-ce qu'ils ont l'info ? Ils ne l'ont pas.

Et donc voilà, c'est aussi ces personnes, des gens qui sont terriblement harcelés, on vit du cyber-harcèlement sur les réseaux. Et on a dû mettre en place vraiment toute une procédure et tous des systèmes pour protéger, pour défendre nos animateurs, nos présentateurs, parce qu'il y a une violence sur ces réseaux. Moi je, franchement, je n'écris presque jamais rien… enfin, j'écris rien pratiquement sur les réseaux. Quand je vois toute la violence qu'il y a là-dessus. Et donc, on a mis en place un système, des procédures pour les aider avec des avocats qu'on paye pour les défendre. On a mis en place des formations pour les sensibiliser, leur dire : « Attention, faut pas dire tout et n'importe quoi parce que vous risquez d'attiser », surtout le mal qu'on a vis-à-vis des médias, il y a quand même toute une série de gens qui critiquent les médias, qui sont quand même… Moi je me souviendrai toujours à ce propos-là d'un d'un cameraman. Il y avait les inondations à Liège, en 2021 je crois.

Amélie Alleman: Ouais.

Christine Thiran: Et…

Amélie Alleman: Ce qui est tellement sensible que tu…

Christine Thiran: C'était voilà. Et donc il allait et à la RTBF, on a un site à Liège et donc tout le personnel là est allé dans tous les endroits et avertissait les secours en disant : « Attention, là il y a un problème », tellement c'était dingue ce qui se passait. Et lui, il était en voiture avec une voiture logotée RTBF. Et à un moment, il y a quelqu'un qui l'arrête sur la route. Mais il a stressé, mais à fond en se disant : « Je vais me faire attaquer » parce qu'il y avait eu des équipes qui avaient été attaquées sur la place de Liège précédemment, lors du Covid et autres, on était très très visé. On a même dû parfois aller avec des bodyguards dans des manifestations pour protéger nos journalistes de violence.

Amélie Alleman: Ah bon ?

Christine Thiran: Oui, oui, c'est… on ne se rend pas compte de ça. Et donc ce cameraman, je reviens, avec… il se fait arrêter. Et donc il reste, il ferme tout. Et en fait, la personne venait le remercier en disant : « Heureusement qu'on vous a, merci pour ce que vous faites ». Et il m'a raconté ça un peu après, il m'a dit : « C'est fou comme on est passé d'un moment où on se faisait taper dessus, où les voitures se faisaient taper, etc., à ce qui s'est passé ». Mais donc c'est pour dire comment la violence est là. Et pour nos animateurs, présentateurs, ils vivent ça aussi. Et donc, par exemple, ça c'est aussi un axe sur lequel on a travaillé pour eux parce que c'est simplement notre devoir en tant qu'employeur, qu'il soit indépendant ou salarié, de pouvoir les… parce que vu cette violence. Mais donc voilà, c'est ce genre de choses qu'on est en train… qu'on essaye de mettre en place par rapport à nos animateurs-présentateurs.

Amélie Alleman: Et tu parlais justement de MediaSquare. Quelle a été l'influence vraiment sur tout ce qui est changement au niveau culture, formation, ce que ça a impliqué ?

Christine Thiran: MediaSquare, en fait, on rentre vraiment maintenant dans le dur. Donc, en fait, maintenant, on voit le bâtiment. Donc MediaSquare, c'est le nouveau bâtiment, le nouveau site Reyers. Alors ça se trouve à 20 mètres des tours Reyers. Donc on ne va pas déménager ailleurs, à Schaerbeek ou à Bruxelles. Et ça va être un Media Park. Donc la région bruxelloise a décidé de mettre tout ce qui était média dans ce cette région-là. Donc vous on va avoir l'IHECS, l'HELb, donc les deux écoles, on va avoir la VRT et la RTB, au milieu la Place des Médias. On a BX1 qui se trouve aussi là-bas. Donc on a tout… et c'est ça va être un endroit aussi où il va y avoir des habitations, des appartements et autres. Donc ça sera un endroit ouvert.

Et donc tout ce qui va être construit, c'est… le bâtiment est maintenant… on a reçu les clés fin mai. Donc Jean-Paul Philippot a signé. Donc on a eu la réception provisoire des clés du bâtiment ici fin mai. Donc on est dans le bâtiment. Ce qui se passe maintenant, c'est qu'il faut un an pour mettre la technologie. Les médias, c'est de la technologie. Donc c'est… Jean-Paul Philippot n'a jamais voulu qu'on fasse un transfert du « as is » vers « as is ». Donc ça veut dire que il y a des tout nouveaux… notre espace de vie au travail va complètement changer. Moi, j'ai un bureau avec des murs pour l'instant, je vais être dans un open space. Et donc tout le monde… Jean-Paul a dit : « Tout le monde, y compris l'AG, plus personne n'a un bureau ». C'est déjà… et donc tous les espaces de vie au travail vont être changés. Donc c'est déjà ça, on va être… un beau défi. Mais ce n'était pas suffisant. On va avoir 18 espaces de production, 18 studios. Tout nouveaux studios qui sont 18 espaces sur lesquels on peut… chaque fois avoir des des des projets éditoriaux différents. Donc chacun aura des projets éditoriaux différents. Et il n'y aura plus un studio qui sera dédicacé uniquement à la Première, à Tipik, à… Ils auront des camps de base, mais si par exemple Tipik à un moment donné a besoin d'aller sur dans le studio de la Première parce que l'agencement du studio, parce que les technologies qui sont utilisées lui permettent de faire son projet éditorial, il ira dans le studio de la Première. Et donc c'est un… vraiment, on a fait des sauts technologiques énormes dans ce bâtiment. Donc c'est un changement également sur les méthodes de production et sur la manière dont on va mettre… mise en air, comme on dit, des studios. Et donc encore vendredi, on a eu des présentations de la directrice de la prod, c'est des rôles différents, des fonctions différentes.

Et donc, il y a un saut technologique énorme. Et donc c'est maintenant que ça se passe. Donc ça va être des changements majeurs. Et ça, ça vient en top of de tout ce que je vous ai dit. MediaSquare nous permet quand même de faire des grosses économies, puisque le bâtiment… rien que pour le bâtiment, mais aussi les espaces de travail ont diminué d'à peu près de 40 % entre notre bâtiment Reyers et ce bâtiment-là. Et les technologies vont nous permettre de réallouer des ressources à d'autres… à d'autres objectifs, parce que on a certaines technologies qui permettent, au lieu d'avoir besoin, je dis n'importe quoi, de 10 personnes, on aura besoin plus que de 5. Donc on a 5 personnes que l'on peut replacer ailleurs ou combler des départs, puisque je parlais des départs volontaires. Et c'est ça que je dis que MediaSquare est un moyen pour nous d'atteindre, c'est de d'éviter de remplacer les départs dans des équipes où de toute façon, cette technologie a automatisé, standardisé les processus tellement fort que on n'a plus besoin de 10 personnes qu'on a besoin maintenant parce que les technologies sont d'une forme et on passe à 5 personnes pour… et donc c'est maintenant que ça se fait vraiment. Alors on y travaille depuis des années, on fait du change depuis des années, mais on va aller dans le dur maintenant. C'est maintenant qu'on va être dans le dur, ça… notre déménagement, normalement, c'est au mois de mai de l'année prochaine. J'ai invité… j'ai fait inviter au top 200, au Connect de la semaine prochaine, Gauthier Saelens qui est le directeur général du Grand Hôpital de Charleroi, qui est un ami puisque j'ai travaillé avec lui au comité de direction de Saint-Luc, on était collègues. Ils ont fait un énorme déménagement à Charleroi puisqu'ils ont regroupé plusieurs hôpitaux en un seul. Je trouve que le secteur hospitalier et des médias, il y a beaucoup de similitudes. Moi-même qui viens du secteur hospitalier, je l'ai vécu. Jean-Paul qui venait aussi du secteur hospitalier. Et donc j'ai dit à Gauthier : « J'ai envie que tu viennes parler à mes cadres pour dire : mais c'est quoi le rôle des managers ? Qu'est-ce que tu attends des… qu'est-ce que tu as vécu toi en tant que CEO ? Qu'est-ce que tu as vécu avec ton comité de direction ? Qu'est-ce que tu as dit à ton comité de direction ? Qu'est-ce que tu as dit à tes cadres ? Et qu'est-ce que tu vis maintenant ? Parce qu'ils y sont depuis 6 à 8 mois, je ne sais plus. Je trouve que ça… en novembre qu'ils ont déménagé. Donc voilà.

Il y a tout un apprentissage. Et donc j'ai dit… J'ai vraiment demandé à Gauthier, j'ai fait rencontrer Jean-Paul et donc on a une chouette discussion pour expliquer comment lui voyait les choses en tant que patron après un déménagement. Et le message ne va pas être facile, parce que le message, ça sera dire : « Le déménagement, c'est une chose, mais c'est rien à comparer avec tout ce qui concerne l'emménagement après ». Il dit : « C'est énorme. Et vous, managers qui croyez que vous allez arriver en disant : 'Tiens, on a déjà bien travaillé pour déménager', vous n'avez rien vu de tout ce que vous devrez faire pour emménager. Toute la résistance au changement, tous les problèmes qui vont se vivre ». Parce que moi, je l'ai déjà dit, hein, dans tous les systèmes informatiques, j'ai dit : « Il y a une chose qui est sûre : il y aura plein de bugs, plein de bugs ». Et donc, au lieu de gueuler sur son collègue en lui tapant dessus oralement en disant : « Mais enfin, tu as un con, pourquoi est-ce que tu as fait ceci ? », le gars, il a fait de le mieux qu'il pouvait, mais c'est à tel défi qu'on sait qu'on va avoir un bug. Donc soyons bienveillants, essayons de ne pas se taper dessus. Et Gauthier me dit : « Tu as tout à fait raison parce que c'est ça qui va se passer ». Il dit, au Grand Hôpital de Charleroi, on a eu plein de bugs et on en a encore. Les gens qui travaillaient par exemple au Grand Hôpital dans les urgences, c'était beaucoup plus grand les urgences maintenant que ce qu'ils avaient chacun dans leur hôpital. Mais avant, alors qu'ils devaient faire deux pas pour prendre le téléphone pour faire ceci, là, peut-être qu'ils doivent faire cinq ou six pas. Mais pour eux, dans les urgences, quand ils ont des urgences vitales à devoir gérer, mais c'est beaucoup. Et ils ne retrouvaient plus leur leur leur marque. Et donc, c'était très nerveux, tout ça. Et donc il a plein d'histoires comme ça à raconter. Et je trouve que c'est ça qu'il faut qu'on explique à nos équipes pour que on va avoir des engueulades, on va avoir du stress, on va avoir des… mais que au moins on puisse dire, on puisse se préparer et donc diminuer cette pression qui va arriver mais qui va être un challenge. Et quand je parle de Jean-Paul Philippot à sa fin de mandat en février, on déménage à partir de de mai, mais les studios, ça sera quatre studios par par mois et donc ça veut dire qu'on est bien reporté jusqu'en 2027. Donc les équipes sur deux… sur deux bâtiments, puisqu'il y aura des équipes dans MediaSquare, d'autres qui resteront à Reyers, donc…

Et donc Jean-Paul Philippot qui part en… enfin qui termine son mandat, moi j'ai besoin d'un capitaine. Et lui, il connaît tout le bâtiment. Et donc je trouverais… et Gauthier Saelens disait aussi : « Il faut qu'il soit là lors du déménagement ». Si il n'est pas là pour le déménagement, ça veut dire qu'on rajoute encore une couche de complexité. On en a déjà assez. Et donc c'est du simple bon management, hein. Donc ça n'a rien à voir avec tout ce que toutes les discussions politiques ou autres, I don't care. Moi je vois, de nouveau, je travaille à l'impact. Je vois mon entreprise, je vois les gens, je vois le défi. Il y a une seule chose que je veux, c'est d'avoir un capitaine sur le bateau qui a suivi tout ça, qui assume ses décisions et qui peut porter le projet. Il y a déjà beaucoup de…

Christine Thiran: Et donc c'est voilà. Et donc c'est ça que pour l'instant, il y a quand même des discussions en disant : « Il faut quand même qu'on fasse des choses qui fassent sens pour que dans les mois qui viennent, le déménagement en tout cas, à quel… C'est à quelques mois près, à 3-4 mois près par rapport à son départ. Donc je trouverais ça ahurissant ce qui se passe. Mais bon, on est toujours étonné un peu de certaines réactions qui se passent autour.

Amélie Alleman: Eh ben, ça ça en fait des choses. Christine, je vois que l'heure passe et que je sais que tu dois partir. Euh, moi j'ai adoré la conversation et je pourrais encore te poser beaucoup, beaucoup de questions parce que c'est assez hallucinant dans tous les changements et tout ce que vous… tout ce que vous faites à la RTB. Donc déjà, en tout cas, bravo pour tout ce que tu fais.

Christine Thiran: Merci, merci, mais c'est toutes les équipes, hein. Donc je ne suis que un maillon d'une grande chaîne de humaines dans l'entreprise.

Amélie Alleman: Ouais, mais un beau maillon à impact.

Christine Thiran: En tout cas, je me bats pour la boîte, ça c'est clair, et pour son personnel, ça c'est clair.

Amélie Alleman: Ça je pense. Merci en tout cas Christine.

Christine Thiran: Merci. Merci en tout cas d'avoir… ça m'a permis de me replonger en fait, puisque j'ai quand même un peu préparé par rapport à aux sujets dont on allait aborder, ça m'a permis un peu de replonger sur ce qu'on fait parce qu'on est tellement dans le taf que voilà, on ne prend pas des moments de recul, de pit stop qui nous permettent de voir tout ce que tu as réalisé ces dernières années. Tout à fait. Mais merci alors.

Amélie Alleman: C'est une belle opportunité que tu m'as offerte en tout cas.

Christine Thiran: Merci à toi, franchement, et euh ben encore merci à Sandrine parce que c'est elle qui m'a quand même aidé à tout préparer.

Amélie Alleman: Tout à fait, merci Sandrine.

Christine Thiran: On prendra un petit apéro cet été si le temps le permet.

Amélie Alleman: En tout cas, c'était très chouette. Merci Christine.

Christine Thiran: Merci beaucoup.